lundi 20 juin 2011

LE PRESABSENTEISME

L'édition 2012 du petit Larousse qui vient de sortir inclut un nouveau mot dont la présence était attendue, pour ne pas dire espérée, mais dont la définition est pour le moins décevante :

Présentéisme n.m. Fait d’être assidûment présent, notamment sur le lieu de travail. 

Interpellé, je me décide à vérifier les fondamentaux du vocabulaire :

Assiduité n.f. Régularité à se trouver où on doit l'être.

Ainsi le présentéisme serait le fait d'être régulièrement présent sur le lieu de travail. Que les spécialistes m'expliquent la nouveauté de ce concept par rapport aux engagements inclus dans le contrat de travail. Ceci est donc extrêmement décevant au regard de l'importance des enjeux de sensibilisation à propos de la prévention de la souffrance au travail, du stress et des risques psychosociaux. 

La définition choisie pour ce nouveau mot m'évoque trois questions :
- La "valeur travail" est-elle à ce point dévalorisée qu'il faille désormais créer un nouveau nom commun pour celles et ceux qui sont assidûment présents au travail ? 
- Les conditions de travail sont-elles tellement dégradées que la seule présence régulière au travail serait un exploit méritant une appellation propre ? 
- Le fait d'être présent avec assiduité serait-il un gage de qualité et de productivité qui aurait le mérite d'être signalé ?  

Outre le fait qu'elle nous perd dans de tristes conjectures, cette définition a surtout pour tord de nous écarter des vrais problèmes. Car si l'absentéisme désigne le fait d'être assidûment absent et le présentéisme le fait d'être assidûment présent, comment alors dénommer l'attitude d'être physiquement assidu au travail et mentalement assidu hors du travail ? Car en vérité c'est ce phénomène qu'il faudrait répertorier, étudier et prévenir. C'est vers la présence passive des salariés épuisés ou démotivés que nous devrions porter notre attention.  Nous pourrions appeler ce phénomène présabsentéisme s'il n'avait pas déjà une définition. En effet, selon Wiki, le présentéisme désigne chez les pragmatiques d'Amérique du Nord "le fait d'être physiquement présent au travail sans avoir la productivité attendue, que ce soit dû au salarié ou à l'organisation."

Tant que nous ne saurons pas orienter notre attention vers le vrai drame des entreprises, celui du présentéisme (lorsqu'il est défini comme le désengagement chronique des salariés) le voeu de la performance durable sera vain. 

mardi 14 juin 2011

LES FONDATIONS D'UN "COOL CENTER"


Pour trouver médicaments et antidotes, les chercheurs étudient les virus. Par analogie, l’étude des métiers difficiles peut-elle permettre de trouver des solutions pour prévenir les risques psychosociaux en entreprise ? L’enjeu mérite certainement une tentative. Dans le classement virtuel des activités considérées comme stressantes, les call centers (centres d’appels) occupent une place d’honneur. Fort de cette observation, je me suis interrogé sur les pratiques ayant permis de réguler les risques psychosociaux dans les centres d’appels. Ce court article rassemble ainsi le résultat d’interventions en entreprise et de lectures sous la forme d’une liste de bonnes pratiques commentées.
En préambule, une observation de terrain pouvant apparaître comme surprenante : certains centres d’appels combinent des taux d’absentéisme et de démission inférieurs à 1% ! Ils sont donc loin de mériter leur réputation et sont la preuve qu’il n’y a pas de fatalité et que la prévention, même dans les cas supposés difficiles, peut conduire à des résultats concrets.

Pratiques ayant démontré leur efficacité concernant la prévention des RPS dans les centres d’appels :

- Développer sens, respect et reconnaissance. Il est fondamental de définir précisément le périmètre et le contenu des postes et de dessiner une politique de reconnaissance qui n’oubliera pas la dimension immatérielle. Par exemple, il est important de communiquer dans l’entreprise sur le principe que conseillé de clientèle est un vrai métier. La reconnaissance passe également, par exemple, par la valorisation des idées d’amélioration des processus que peuvent proposer les conseillers.
- Définir des objectifs de rendement réalistes et une stratégie de rémunération équilibrée. Les écueils concernant la stratégie de rémunération sont bien connus. Si la rémunération est basée sur des critères uniquement individuels, des mécanismes de défiance et concurrence sauvage peuvent s’instaurer entre les salariés. Si les critères sont exclusivement collectifs, le risque du « passager clandestin » (celui ou celle qui profite du travail des autres) est fort. Ces deux risques sont particulièrement problématiques dans un contexte où la charge mentale et le bruit conduisent naturellement à une certaine tension. L’idée est donc de construire un système de rémunération basé sur les performances individuelles et collectives. Il permet ainsi de reconnaître la performance individuelle tout en maintenant un esprit d’équipe. Il est également important de faire vivre ce système en l’améliorant par itérations successives dans le cadre d’un travail participatif.
- Développer la diversité (H/F, ethnique, générationnel, handicap). De manière générale les « cool centers » ont compris la valeur ajoutée de la diversité dans la constitution de leurs équipes (notamment en raison du partage et de la mise en perspective d’expériences que la diversité favorise). La diversité de genre semble particulièrement importante dans les centres d’appels où la proportion de femmes est souvent très élevée.
- Gérer des évolutions de carrière. Un problème important dans les centres d’appel est de gérer la monotonie que la plupart des conseillers ressentent généralement après 2-3 ans d’activité. S’il n’y a pas de recette miracle, plusieurs solutions peuvent être envisagées. La première consiste à privilégier quand c’est possible les évolutions de poste en interne. Le processus global d’évolution interne doit cependant être construit sur les fondations théoriques de la justice organisationnelle pour réduire le sentiment de frustration que les candidats éconduits pourraient ressentir. La seconde solution consiste à travailler sur la polyvalence et proposer une diversification des tâches.
- Un plan de formation conséquent. Il se décompose généralement de quelques semaines de formation pour les nouveaux entrants avant la prise de leur poste et d’un accompagnement individuel par un système de parrainage.
- Un investissement fort concernant la formation des superviseurs. Si leur rôle est fondamental dans la gestion des opérations sur les plateaux téléphoniques, il l’est tout autant dans la prévention des RPS. Leur (difficile) tâche de courroie de transmission dans un contexte de forte charge mentale nécessite une sérieuse formation aux bases du management et en particulier à la communication interpersonnelle et à la gestion de conflit. Cet investissement dans la formation des superviseurs est d’autant plus important et nécessaire si l’entreprise a une politique d’évolution interne.
- Ne pas faire d’impasse sur la communication.  Les conseillers clientèle qui passent plusieurs heures par jour au téléphone, comprennent et supportent mal l’absence de communication au sein de leur service. Il faut donc définir un mode d’échanges participatif et valorisant, organiser régulièrement des réunions d’information, des réunions d’échange avec les superviseurs et pratiquer une communication ouverte qui favorise l’expression de troubles ressentis plutôt que de concourir à leur refoulement.
- Une modélisation précise de la charge de travail. Cette dernière permet d’anticiper les périodes pleines et de recruter et former du personnel en conséquence pour éviter les surcharges de travail.
- Travailler sur les grands principes de l’ergonomie (bruit, lumière).