lundi 27 septembre 2010

CONDUITE DU CHANGEMENT OU CHANGEMENT DE CONDUITE ?

Soudainement le temps s’est accéléré, distordu. Une accélération si rapide et tellement euphorisante qu’elle a séduit jusqu’aux gardiens du sacro saint principe de précaution. Alors qu’il fallait plusieurs mois au début du XXème siècle pour traverser l’océan et négocier un contrat à New York, une demi seconde suffit désormais pour envoyer une proposition commerciale de Paris à Pékin. Les limitations technologiques et les barrières commerciales sont tombées, la liberté est à portée de clavier, l’homme est un génie.

A posteriori, des faits divers choquants et des statistiques récurrentes nous proposent cependant une autre lecture de cette évolution. Suicides sur le lieu du travail, troubles de l’adaptation, épidémie de dépressions et épuisements professionnels se multiplient en France et ailleurs. Avez vous parlé de votre burnout à votre grand mère ?

"Dans un monde globalisé, il faut courir pour survivre."
Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie)

Courir pour survivre, est-ce là notre destin ? Courir dans la réalité du monde du travail, signifie faire plus avec moins, évoluer et s’adapter continuellement au changement. Mais vitesse accrue signifie également vigilance décuplée et prise de risque majorée, demandez aux pilotes.
Ainsi le nouveau crédo du dirigeant et manager est désormais la conduite du changement. Les collaborateurs doivent s’adapter (vitesse, précision et enthousiasme exigés s’il vous plait) aux changements de stratégie des concurrents, à la volatilité des fournisseurs, aux nouvelles règles réglementaires, aux évolutions technologiques. Mais comment lutter contre la résistance au changement quand cette dernière est causée par notre épuisement ? Comment s’adapter alors que la résistance est chez les êtres humains une réponse naturelle à l’incertitude par ailleurs désormais généralisée? C’est notre être tout entier et ses mécanismes de défense innés qui semblent désormais refuser la course infernale.
Ivres de ce progrès qui flatte nos sens et  satisfait notre désir de possession, nous avons oublié de nous poser une question : pendant combien de temps pouvons-nous encore « courir » ? Plus très longtemps sans doute, puisque l’adaptation au changement a ses limites, celles de notre corps. Non pas que ce dernier ne sache s’adapter, mais l’évolution s’observe à l’échelle de siècles et non à la cadence survoltée de l’internet.
Quelle autre voie alors? La réponse semble simple, si simple. Observons combien cette notion d’adaptation au changement relève de la pure schizophrénie, puisque c’est l’esprit de l’homme qui est à l’origine de ces changements qui sollicitent tant nos capacités d’adaptation. Nous souffrons de ne plus pouvoir nous adapter aux changements que nous avons nous mêmes désirés, imaginés, conçus. 
Au rythme où vont les choses il est plus que probable que la conduite du changement doive avant tout passer par le changement de notre conduite.

vendredi 17 septembre 2010

LE STRESS ET LA MONDIALISATION

Deux ans après la faillite de la banque d'investissement Lehman Brothers, je rencontre de jeunes traders qui me parlent de l'atmosphère qui règne dans les salles de marchés. J'apprends que ce qui les attire avant tout est ... le stress qu'ils y trouvent ! Plus que l'argent, c'est la tension, l'intensité et l'exaltation d'une supposée maîtrise sur la course du monde qui les stimule. Dans les salles de marché, urgence et importance des enjeux se marient dans un bain d'adrénaline et de testostérone favorisant un sentiment de puissance euphorisante.
Tout ceci serait fort convenable s'il s'agissait de billets de Monopoly ou d'initiatives personnelles et indépendantes. Mais cette indépendance est devenue un mythe, puisque la mondialisation a justement pour caractéristique de (tous) nous relier. L'argent qui circule dans une salle de marché est par exemple constitué en partie par les retraites des uns et le résultat du travail des autres.
Ainsi, par une triste ironie, la recherche impulsive du stress chez quelques uns, participe aux conditions favorisant l'apparition du stress chez de nombreux autres.
Le libre échange mondial, qui ouvre des droits nouveaux pour les différents acteurs (le droit d'exprimer librement sa différence, sa créativité et de s'épanouir sur le grand marché), devrait également être encadré par des devoirs. Le premier d'entre eux pourrait-être le devoir d'estimer et d'anticiper les conséquences de ses actes. Comment prétendre agir sur un marché global sans apprendre à penser globalement ?
"Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe" - Albert Einstein

jeudi 9 septembre 2010

CHERCHER LA CROISSANCE OU ELLE EST : ICI


Certains magazines titrent régulièrement sur les promesses de croissance économique que seuls de lointains pays semblent désormais pouvoir nous offrir. La croissance lit-on profite à ceux qui investissent dans des vols long courrier et des cours linguistiques aussi intensifs que désespérés pour nous autres gaulois. Soit, il ne fait aucun doute que les puissances dites émergentes offrent des perspectives de développement commercial quasi miraculeuses en comparaison de celles proposées par une consommation intérieure plombée durablement par la crise[1]. Et comme nos voisins, nous aurions tord de nous priver de ces perspectives. Cependant, hypnotisés par ce nouvel eldorado, nous ne devons pas oublier l'essentiel : pour pouvoir vendre, il faut tout d'abord savoir créer (sauf bien sûr à savoir vendre moins cher que les autres, ce qui n'est plus notre cas). Sans prendre le risque de proposer une explication à la mystérieuse alchimie de l’innovation, il est possible de soumettre une idée simpliste pour placer le débat : pour que le fruit mûrisse, il faut une graine de bonne qualité et des conditions environnementales favorables. Où se situe alors le risque de rupture dans ce cercle vertueux de la création de valeur conduisant à la croissance? Sans doute pas dans notre système éducatif qui démontre régulièrement sa capacité à former des ingénieurs de qualité. Reste alors à exprimer et valoriser ce potentiel dans le cadre de l'entreprise. Parce que l’innovation est aussi une affaire de sueur, de persévérance, de confiance, de prise d’initiative, de travail en équipe, de responsabilisation et de méthode.
"Une personne qui n'a jamais commis d'erreurs n'a jamais tenté d’innover." (Albert Einstein).
Lorsque le stress sévit, la prise de risque s’érode mécaniquement et c’est le désengagement des salariés qui prédomine. Globalement l’innovation est donc également une affaire relative aux conditions du travail, à l’organisation du travail et à la formation des personnels d'encadrement dans l’entreprise. Sans minimiser la possibilité de l’idée de génie spontanée, sur le long terme, nous avons besoin de conditions de travail harmonieuses pour exprimer nos capacités d'innovation.
"Le chercheur doit être convaincu que les échecs à court terme ne seront pas punis." (Pierre Azoulay, professeur au MIT Sloan School of Management)[2].
Avant d'être au Brésil, en Russie, en Inde, en Chine ou ailleurs, la croissance se crée donc chez nous. Elle dépend désormais de notre capacité à endiguer l'épidémie menaçante du stress et de notre aptitude à vulgariser les méthodologies préventives qui par ailleurs sont bien documentées.  


[1] La croissance en Chine est par exemple passée de 10,7% en rythme annuel au quatrième trimestre 2009 à 11,9% au premier trimestre 2010, selon l'annonce du Bureau National des statistiques (BNS).
[2] D’après l’étude “Incentives and Creativity: Evidence from the Academic Life Sciences” -http://pazoulay.scripts.mit.edu/docs/hhmi.pdf