Pour se forger une idée concernant l'initiative d'ajouter un jour de carence pour les arrêts maladie, il faut étudier les liens entre la carence et l'absence.
En préambule trois éléments de contexte :
- "l'absentéisme confortable" (ne pas aller au travail quand on est bien portant) s'il existe, est régulièrement surestimé (il représente moins de 15% des cas d'absence en France - voir note 1)
- "le présentéisme inconfortable" (aller au travail quand on est souffrant) est non négligeable et sans doute sous-estimé en période de chômage fort, bien que peu de chiffres existent à ce sujet. Certains médecins expliquent ainsi que leurs patients refusent de suivre leurs prescriptions d'arrêts maladie de peur de jugements et représailles au travail.
- les grandes entreprises sont nombreuses à compenser les indemnités journalières pendant les jours jours de carence. Cette réforme concernera ainsi principalement le public et les TPE / PME.
Quels sont donc les liens entre l'absence et la carence ?
Il y a tout d'abord le lien direct :
- Augmenter la carence a pour objectif avoué de vouloir réduire l'absentéisme de confort. Cette technique parait efficace si l'on en juge par le fait que les entreprises privées qui ne prennent pas en charge ces jours de carence ont un taux d'absentéisme moyen plus faible que celles qui ne les prennent en charge. Des perspectives d'économies réelles existent donc pour la sécurité sociale (200 millions d'euros sont escomptés). Elles doivent cependant être estimées au regard du nombre marginal de cas "d'absentéisme confortable" et de la portée limitée de cette mesure auprès des grandes entreprises.
Considérons ensuite les liens indirects :
- Pour les petits budgets, augmenter la carence risque d'augmenter le "présentéisme inconfortable". Ceci aura des conséquences sur une baisse de productivité et une hausse de l'absentéisme maladie (dans le cas de symptômes contagieux par exemple). Cette conséquence aura donc des effets contraires à ceux espérés et viendra annihiler en partie les bénéfices de la réduction de "l'absentéisme confortable".
- Sur le principe bien connu que "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme" les tentatives pour contraindre l'absentéisme (ajout d'un jour de carence et surtout multiplication des contrôles) qui ne traitent pas des causes principales, risquent d'avoir des effets collatéraux pénalisants pour les entreprises. Si l'on accepte en effet l'idée que l'absentéisme peut-être dans une certaine proportion une soupape à la frustration et fatigue des salariés face au travail et aux conditions de travail, éliminer cette soupape ne résorbe pas la frustration, mais l'oriente vers d'autres moyens d'expression tout aussi pénalisants pour l'entreprise (démotivation, résistance au changement, conflits, etc.). L'augmentation de la durée de la carence peut ainsi être vue comme une source potentielle d'économies pour les dépenses publiques et une source possible de pertes pour les entreprises et collectivités. Charge à elles d'investir dans la prévention.
Car disons le à nouveau, l'absence n'est pas absente de sens, et pour réduire durablement l'absentéisme professionnel il faudrait orienter les entreprises vers l'amélioration des conditions de travail, ce qui est la responsabilité partagée de la sphère politique et des décideurs en entreprise.
Sur ce sujet lire également :
L'absence n'est pas absente de sens
L'absence n'est pas absente de sens (2)
Prévenir l'absentéisme professionnel
(1) En 2008, sur 1,5 million de contrôles, la CNAM a constaté que 13 % des 285 000 réalisés pour des arrêts de courte durée étaient "injustifiés ou trop longs", soit 37 050 cas (note : méthode d’échantillonnage non connue). Dans le cas des arrêts de plus de 45 jours, systématiquement contrôlés, on comptait 11 % de cas "inadaptés ou injustifiés" sur 1,2 million, soit 132 000.
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