dimanche 19 février 2012

ABSENTEISME ET EQUITE

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Les écrits de presse récents sur les hôpitaux en France (voir par exemple le cas du CHU de Montpellier) décrivent deux tendances qu'il est sans doute intéressant de rapprocher :
- L'explosion du nombre d'heures supplémentaires non payées
- La forte croissance du nombre de jours d'absence
Tout se passe donc comme si les salariés reprenaient leur temps, s’arrogeant le droit de récupérer sous forme d'absence, le temps dû (heures supplémentaires) que la direction de ces hôpitaux ne peut ou ne sait leur donner. Si cette correspondance, semble simpliste en première apparence, les psychologues du travail et des organisations (ou les chercheurs en comportement organisationnel) nous informent que des mécanismes du comportement humain au travail connus peuvent permettre d’étayer cette interprétation de la compensation.
La performance au travail, la satisfaction et l’implication dépendent de l’équilibre ou du déséquilibre perçu par le salarié entre ses contributions et ses rétributions. Les salariés raisonnent alors par comparaison. Qui n’a pas entendu un de ses collègues se plaindre qu’un autre avait eu une prime, des congés au mois d’août ou une promotion alors « qu’il en faisait moins » ? Si le salarié a la perception (ou le sentiment) que ses rétributions baissent ou sont insuffisantes, il pourra alors réagir de plusieurs façons. Il changera peut-être de référentiel de comparaison, ou, alternative problématique, il réévaluera ses contributions en demandant par exemple à être augmenté en proportion de ses efforts. Chacun cherche donc par tous les moyens possibles à rétablir cet équilibre. Dans cette situation d'échange social qu'est le monde du travail, si l'entreprise attend du salarié qu'il accomplisse ses obligations contractuelles et dépasse les objectifs fixés, le salarié attend pour sa part que l'entreprise le récompense pour ce à quoi il a contribué(1). La notion de réciprocité et le principe d'équité occupent alors une place centrale dans les relations professionnelles, y compris dans leurs représentations symboliques. L'absence de juste rétribution à l'investissement en heures supplémentaires pourrait alors expliquer en partie l’augmentation de l'absentéisme dans les hôpitaux.        
Théodora Fausther (M2 Psychologie du travail - Nice) et Guillaume Pertinant        
(1) Steiner, D.D.(2006). Equité et justice au travail. Dans J. Allouche (Ed.), Encyclopédie des ressouces humaines, 2nd Edition (pp.389-396). Paris : Vuibert  

vendredi 17 février 2012

LE PARADOXE DE L'ABSENTEISME

Il est un sujet qui trouve toujours un moyen pour avoir une place dans les éditoriaux. Atteindre une telle performance relève d'une sorte d'exploit en ces temps de surmédiatisation. La raison de ce "succès" est curieuse, l'absentéisme, c'est de lui dont il s'agit, est un casse tête à plusieurs faces. Il y a bien-sûr en premier lieu l'absentéisme des salariés du public et du privé. Sujet de discorde et de clivages quasi ancestraux s'il en est. Depuis, peu il y a également l'absentéisme des élèves et son cortège de mesures plus ou moins coercitives. Quand l'attrait médiatique baisse, certains élus et notamment députés trouvent le moyen d'inverser la tendance lorsque sortent des chiffres d'assiduité à faire pâlir un directeur d'établissement. Et puis bien-sûr, à intervalles réguliers, nous nous interrogeons sur l'abstention, c'est à dire l'absentéisme des bureaux de vote. Sur ces sujets, tout le monde a son avis. Tout le monde, ou presque, puisque bizarrement les acteurs autorisés et légitimes, les chercheurs, semblent peu intéressés par ce sujet. Une recherche sur le fichier central des thèses (theses.fr), indique en effet qu'il y a eu 28 thèses soutenues ou en préparation sur ce sujet sur la période 2002-2012, ce qui est très faible. En comparaison il y a eu près de 2500 thèses avec le mot stress sur la même période... Plus surprenant encore, sur la base de référence Psychinfo, le mot "absenteeism" n'indique que 320 publications (documents disponibles en texte intégral, qui ont des références et qui ont été validés par un comité de relecture) sur une période de 30 ans débutant en 1982. Et sur ces 320 documents, il n'y a qu'une seule méta-analyse et 7 études longitudinales. Tout se passe donc comme si ce sujet de société était à peu près autant étudié que la migration des oies cendrées au XIX ème siècle ! Pour finir la description de ce curieux tableau, la majorité des travaux répertoriés traitent du sujet selon une approche individuelle plutôt qu'organisationnelle. Tel est le paradoxe de l'absentéisme, sujet de société très médiatisé mais peu étudié. Dans ces conditions il n'est pas surprenant qu'il demeure incompris.

Théodora Fausther (M2 Psychologie du travail - Nice) et Guillaume Pertinant


lundi 6 février 2012

LES RPS ET LE SYNDROME DU CONDUCTEUR

En matière de prévention des RPS, j'observe dans les entreprises des incompréhensions portant les caractéristiques de ce qui pourrait être qualifié de syndrome du conducteur. Celui ci peut se définir comme l'incompréhension réciproque entre le conducteur et le passager d'une voiture lorsque la vitesse de cette dernière augmente. Si le risque augmente avec la vitesse, il n'augmente pas dans la même proportion selon que l'on soit conducteur ou passager ! Mais ceci, conducteur et passagers l'ignorent généralement. De ce fait, le conducteur ne peut comprendre l'anxiété du passager, qui en retour ne peut comprendre la placidité du conducteur. Cette différence notable s'explique principalement par la dynamique du contrôle. Là où le conducteur dispose de leviers pour agir en cas de soucis, le passager n'en dispose pas. Or l'absence de contrôle est synonyme d'anxiété. Tel est d'ailleurs le lien entre cette métaphore automobile et le stress en entreprise. Bien souvent, les membres du comité de direction et les top managers ont, de par leur fonction, un contrôle, une latitude concernant la conduite de l'entreprise. Bien souvent également, les employés ne disposent pas du même niveau de contrôle. Et quand l'économie globalisée se manifeste sous forme d'une vive accélération du temps qui accélère tous les processus y compris ceux qui ont des conséquences structurelles sur l'entreprise, les employés souffrent. Et puisque les décideurs ont le contrôle sans savoir que l'absence de ce dernier est lié à l'anxiété, ils ne peuvent pas comprendre le stress des employés et leurs revendications à ce sujet. De l'autre coté, puisque les employés n'ont pas de contrôle et ne savent pas non plus que la présence de ce dernier est souvent synonyme d'absence d'anxiété, ils ne peuvent pas comprendre l'indifférence des décideurs. Dans l'ignorance de l'importance du contrôle, décideurs et employés s'épuisent ainsi à communiquer sur deux plans différents.
Il y a une réalité scientifique à tout cela, celle des travaux de Karasek.  Ce dernier à démontré que le stress vient justement de la conjonction d'une demande perçue comme étant élevée et d'un contrôle perçu comme étant faible. Le but est donc d'en finir avec le syndrome du conducteur en brisant cette ignorance par des actions de vulgarisation.

Pour finir, et puisque rire ne fait jamais de mal, voici le souvenir ancien d'une autre histoire de conducteur, de passager, de stress et de contrôle.