mardi 26 octobre 2010

PREVENIR LES RISQUES, REDUIRE LE STRESS

 Alors que la sécurité des citoyens se révèle être un sujet médiatique et un enjeu politique, il est intéressant d’analyser comment la sécurité et les risques sont gérés au sein du territoire à priori protégé de l’entreprise. Au premier abord, la prévention des risques professionnels est une activité sous contrôle et bien formalisée. Les employeurs sont tenus d’organiser des actions de prévention des risques professionnels sans quoi leur responsabilité pénale et / ou civile peut-être engagée. Les risques chimiques ou électriques, mais également ceux associés à l’organisation du travail, aux conditions de travail doivent ainsi être mesurés, quantifiés, analysés, gérés et enfin répertoriés dans le document unique. Par ailleurs les risques relatifs à la gestion des stocks ou à l'installation d'un nouveau progiciel mais également ceux associés à un investissement financier sont souvent gérés de très près par les gestionnaires. Une lecture plus précise laisse cependant révéler deux failles importantes dans le système de gestion des risques professionnels. Ces failles sont relatives aux risques que l’on crée et à ceux que l’on ne sait gérer. Pour parler des risques que l’on crée, il est utile de comparer le processus de développement d’une nouvelle molécule chimique avec celui d’une nouvelle technique de management.  Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique veut commercialiser un nouveau médicament, différentes séquences se déroulent. Recherche fondamentale, étude de faisabilité in vitro et toutes les phases d'essais cliniques se succèdent pendant une durée qui peut atteindre la bagatelle de 20 ans. Il en va de la santé des utilisateurs de ces médicaments, c'est le principe de  précaution.

 L'organisation du travail et le management inventent également de nouvelles techniques.  Nouvelles façons d'évaluer les salariés, d'augmenter ou de diminuer la "taille critique" des entreprises, de repenser les espaces collectifs et les rythmes de travail. Des millions de salariés dans le monde entier sont également concernés par ces techniques qui sont souvent expérimentées in situ et à l'avenant dans les entreprises. Il en va de la santé (économique) des entreprises, c'est le principe de rentabilité.

 Il ne s’agit point ici de dénigrer les nouvelles idées, mais d’observer, toutes proportions gardées, la rigueur à laquelle certaines nouvelles idées sont assujetties et la légèreté avec laquelle d’autres sont validées.
Par ailleurs la prévention des risques professionnels comprend une autre lacune, les gestionnaires sont rarement formés et équipés pour mesurer ces risques. Considérons l’exemple de l’organisation internationale de normalisation ISO qui vient de publier une norme internationale traitant spécifiquement de la gestion des risques[1]. Le risque y est défini comme « un effet de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs ». Introduction prometteuse qui ne se maintient pas à la hauteur de l’enjeu puisqu’une seule ligne se réfère spécifiquement par la suite à la problématique des risques sociaux « le management du risque doit intégrer les facteurs humains et culturels ». La réalité est que la gestion des risques psychosociaux n'apparaît pas ou trop peu dans la boîte à outils pourtant bien équipée du gestionnaire de projet. Les gestionnaires sont alors démunis face à des risques qui pourtant sont majeurs et en croissance[2]. Les risques psychosociaux n’apparaissent pas non plus dans les tableaux de bords des décideurs en entreprise qui, à leur décharge, n’ont souvent pas été formés aux indicateurs santé au travail.
Sans mesure, la gestion est impossible dit le dicton. Il est désormais nécessaire d'étendre le précepte aux risques psychosociaux. Ces risques qui pénalisent la santé des salariés, la bonne conduite des projets, la qualité de service et les performances économiques des entreprises sont devenus bien trop importants pour les ignorer et ne pas les prévenir. C’est un triple enjeu de sensibilisation, de formation à la santé sécurité au travail et de validation de techniques managériales préalablement à leur déploiement. Si le document unique engage les entreprises vers l’observation des risques professionnels « classiques », la gestion des ces derniers doit urgemment se renforcer d’outils et d’une méthodologie pour prévenir et gérer la dimension humaine. Car quand l'ambiance est électrique au bureau, la conformité des extincteurs à la procédure incendie est inutile !







[1] IS0 31000 : 2009 Management du risque – Principes et lignes directrices
[2] "Le stress au travail touche de plus en plus de salariés. Selon le tout dernier sondage de l’observatoire de la vie au travail, 65% des personnes interrogées se disent exposées au stress dans leur entreprise. C’est 10% de plus que l’an dernier."

jeudi 14 octobre 2010

STRESS : PREVENTION COLLECTIVE, PREVENTION INDIVIDUELLE

Peu de prises de position résistent à l'analyse statistique. Ainsi par exemple, il est devenu impossible (sauf aux idéologues) de tenir sérieusement le propos que le stress est uniquement une problématique de subjectivité individuelle. Ce qui pouvait se défendre il y a dix ans quand les victimes de burnout étaient des curiosités médicales, ne trouve plus de justification quand 10% des salariés de certaines entreprises sont absents et 30 autres % sont démotivés. Puisque le stress touche donc désormais une population "statistiquement" importante, il doit s'agir d'un phénomène collectif. Ce dernier doit donc être traité par l'analyse et la prévention de ce qui touche collectivement les salariés. Ainsi la recherche des causes du stress s'est déplacée récemment des méandres de la psyché humaine vers la sophistication des techniques d'organisation du travail. L'affaire semble entendue, il faut prévenir collectivement le stress. Sous l'effet d'une menace réglementaire naissante (mais somme toute toujours modeste), d'une pression médiatique qui pèse son poids, ou d'une fibre sociale sincère, certaines entreprises décident ainsi d'investir dans l'amélioration des conditions de travail.
Mais l'analyse statistique du même phénomène révèle une autre vérité qu'il serait bon de ne pas occulter. Si la souffrance du plus grand nombre sous-tend un problème de nature collective, le bien-être de ne serait-ce qu'un individu placé dans les mêmes conditions offre une lecture non pas contradictoire, mais complémentaire. En effet, si un seul exemple ne suffit pas à prouver la validité d'une règle générale, il suffit d'un seul contre exemple pour prouver qu'une règle générale est fausse ou incomplète. Or ces contre exemples existent dans l'entreprise et dans la littérature qui propose des témoignages d'hommes et de femmes qui exposés jusqu'aux environnements les plus hostiles, demeurent sereins. En réalité, nous devons admettre que pour certains, le stress n'existe pas. Nous devons donc apprendre d'une part des entreprises qui repensent avec succès l'organisation de leur travail et d'autre part des individus qui gèrent sans encombre les difficultés. A l'heure où le stress se propage comme une vilaine épidémie, il serait dommage de se priver d'un de ces deux leviers pour le prévenir.

samedi 9 octobre 2010

COMPRENDRE ET REDUIRE L'ABSENTEISME

Les témoignages de tout à chacun laissent souvent à penser que l’absentéisme professionnel résulte d’habitudes et d’initiatives personnelles injustifiées prises par des salariés dépourvus de conscience professionnelle. Si cette forme d’absentéisme est bien une réalité, cette dernière est généralement surévaluée (en moyenne les absences injustifiées ne représentent pas plus de 10% du volume total des absences). Quelles sont alors les causes de l’absentéisme ? Des travaux de recherche mettent en évidence sept variables : le processus administratif de production de données sur l’absentéisme, le contexte réglementaire et économique, la structure démographique de l’entreprise, les normes sociales et d’équipe, les conditions sanitaires de la population et les conditions et les relations de travail. Ces différentes variables expliquent pourquoi la réalité de chaque entreprise est différente au regard de l’absentéisme. Telle entreprise sera confrontée à une population vieillissante et pouvant être caractérisée par des arrêts longue durée. Telle autre entreprise est au contraire caractérisée par de nombreux jeunes qui s’impatientent devant la lenteur de l’ascenseur social et qui portent un absentéisme de protestation souvent caractérisé par une forte fréquence et une courte durée. Chaque cas est donc différent et il faut se garder de comparer l’absentéisme d’une entreprise à l’autre, ce qui est dépourvu de sens lorsque les contextes sont différents. La prévention de l’absentéisme débute donc par un recueil et une analyse de ces variables explicatives de l’absence dans le contexte de l’entreprise, sachant que plusieurs de ces variables peuvent très bien se croiser au sein de la même entité (par exemple une population combinant une problématique d’usure professionnelle chez certains et d’avancement de carrière chez d’autres). Et si un absentéisme croissant est généralement le marqueur de dysfonctionnements divers affectant la vie de l’entreprise, la santé des salariés et la relation du salarié à son travail, c’est donc l’observation combinée des ces variables explicatives et des indicateurs de l’absentéisme (les principaux sont durée et fréquence des absences ainsi que âge, ancienneté, genre des absents) qui permettent d’y voir plus clair.
Malheureusement, en plus d’être une problématique relativement complexe, l’absentéisme est souvent considéré comme un problème secondaire au regard de la stratégie de l’entreprise. Cette combinaison explique certainement pourquoi les outils de gestion de l’absentéisme brillent si souvent par leur absence ! Il existe pourtant des raisons objectives de traiter ce problème sérieusement.
En premier lieu l’absentéisme désorganise les services, dégrade l’ambiance dans l’entreprise et induit souvent des pertes de productivité. Moins connues mais toutes aussi pénalisantes sont les conséquences indirectes de l’absentéisme qui sans action corrective, tend mécaniquement à s’autoalimenter et à s’auto renforcer. Un exemple pour illustration: l’absence de salariés non remplacés entraîne souvent une surcharge de travail pour leurs collègues. Surcharge qui, lorsque les absences sont fréquentes et s’inscrivent sur le long terme, favorise l’épuisement et la frustration qui lorsqu’elles sont combinées mènent quelque fois à  … l’absence. Ainsi, sans régulation, l’absence des uns favorise l’absence des autres. Globalement, la prévention de l’absence est donc un enjeu de performance économique et social pour les entreprises. Il s’agit d’un investissement d’autant plus rentable que certains dispositifs publics permettent d’aider les PME qui désirent investir dans des projets d’amélioration des conditions de travail[1].



[1] Voir par exemple le FACT (http://www.anact.fr/web/services/FACT)

lundi 4 octobre 2010

COMMENT MESURER LE STRESS ?

Dans l'espace politico-médiatique national, le stress au travail s'invite désormais comme un sujet majeur de santé pour les citoyens et de performance pour les entreprises. Petit à petit cette vulgarisation massive concernant le stress détruit les idées reçues à son sujet et se concentre sur les questions opérationnelles. L'une d'entre elles est le sujet de nombreuses interrogations actuelles : comment le mesurer ?
Face à cette question, de nombreux gestionnaires sont pris au dépourvus. Le stress entend-on est bien difficile à mesurer. Les consultants proposent alors des indicateurs, des questionnaires et des études chiffrées de tout type. Si elles ne sont pas inutiles, ces études ont pour principale valeur ajoutée de fournir un éclairage en dernier recours voire à postériori, quand l'incompréhension ne sait expliquer le fait accompli.
A l'opposé des analyses chiffrées il existe une autre solution, bien plus simple et bien moins onéreuse. Il suffirait de lever son regard des tableaux de bord, de le tourner vers les hommes et les femmes qui constituent l'entreprise et de se poser trois questions :
- Est-ce que les salariés viennent au travail ?
- Est-ce que les salariés qui viennent au travail travaillent ?
- Est-ce que les salariés innovent ?
Telle est la proposition. Oublier pour un moment le quantitatif et se recentrer sur le qualitatif. Oublier la mesure et les chiffres et développer l'observation. Observer le travail, observer les conséquences des choix organisationnels, observer des changements chez les collaborateurs. Le meilleur questionnaire de mesure du stress, ce devrait être le RH  ou le responsable d'encadrement local (si tenté qu'il y en ait un / une cf. les organisations déportées) ! La question initiale n'est plus alors comment mesurer le stress mais comment (apprendre à) l'observer. Apprendre surtout à observer les changements chez les salariés (les changements associés au stress s'expriment sur 4 tableaux : la cognition, le comportement, la santé et les émotions). Jean d'habitude plein d'ardeur traîne désormais sa misère. Sylvie la consciencieuse papillonne. Nicolas qui ne manque jamais une occasion de distraire l'équipe pratique depuis peu l'humour noir. Valérie la communicante ne parle plus. Et puis Loic et Pierre ont mal au dos. Devant l'évidence de la plupart des manifestations du stress, cette question de l'observation est bien plus facile à aborder que celle de la mesure.