Rencontre avec Thierry Rousseau, sociologue, chargé de mission au département changement technique et organisationnel de l’Agence Nationale de l’Amélioration des Conditions de travail (ANACT).
Comment définir l’absentéisme professionnel ?
C’est une question qui est loin d’être anodine, car dans les entreprises l’absentéisme recouvre des réalités qui peuvent être très différentes. Nous pensons que la définition littérale généralement admise « une conduite qui se caractérise par des absences régulières » est insuffisante. En réalité, tout dépend de ce que l’on veut faire et de ce que l’on veut mesurer. Le réseau ANACT dont l’action porte sur les conditions de travail définit donc l’absentéisme comme « toute absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail ».
L’absentéisme ne regroupe donc pas toutes les absences ?
Exactement. Dans l’absentéisme, il y a nécessairement des absences mais l’inverse n’est pas vrai : dans toute absence, il n’y a pas nécessairement d’absentéisme. L’absentéisme est relatif aux absences qui posent un problème et qui pourraient faire l’objet d’une intervention de la part des acteurs de l’entreprise.
Qu’entendez-vous par « dégradation des conditions de travail » ?
Cette notion s’entend ici au sens large et comprend l’hygiène et la sécurité, mais aussi l’organisation du travail, le management, les relations sociales au travail, etc.
Ces conditions de travail n’ont-elles pas évolué positivement depuis la révolution industrielle ?
Il ne s’agit pas d’expliquer l’absentéisme d’autrefois (celui, du fordisme par exemple) mais celui d’aujourd’hui. Les conditions dans lesquelles s’effectue le travail sont profondément transformées. Le travail se densifie, il faut faire plus et plus vite alors que le travail devient plus souvent qu’à son tour une relation de service offerte à un client / usager. De fait, les organisations contemporaines fonctionnent en flux tendu et exigent une forte flexibilité de la part des salariés. C’est une raison de l’absentéisme actuel.
Quelles autres causes peuvent permettre expliquer l’absentéisme ?
L’observation montre que le choix de s’absenter dépend de toute une chaîne de microdécisions. Des travaux de recherche mettent en évidence sept variables : le processus administratif de production de données sur l’absentéisme, le contexte réglementaire et économique, la structure démographique de l’entreprise, les normes sociales et d’équipe, les conditions sanitaires de la population et donc les conditions et les relations de travail.
Beaucoup d’entreprises jugent leur situation concernant l’absentéisme par comparaison avec celles d’entreprises du même secteur. Qu’en pensez-vous ?
Très souvent, les données issues de ces différentes sources ne peuvent être directement comparées entre-elles. Le faire relève alors de l’erreur statistique et les comparaisons intersectorielles, voire interentreprises appellent à la plus grande prudence. En revanche, à l’intérieur d’une même entreprise, l’étude de l’évolution dans le temps de l’absentéisme est généralement féconde.
Un exemple ?
L’analyse de l’absentéisme passe par une appréhension des dynamiques des populations au travail (genre, âge, statut, ancienneté). Le vieillissement de la population par exemple se traduit parfois par un accroissement des maladies de longues durées. Les comparaisons de l’absentéisme entre entreprises doivent donc s’effectuer en tenant compte de ces différences sociologiques, ce qui en pratique est difficilement réalisable.
L’absentéisme est-il porteur d’un message et si oui, lequel?
Ce message est différent d’une entreprise à l’autre mais il est il s’inscrit généralement dans deux registres. L’absentéisme est tout à la fois un problème de santé au travail et de cohésion sociale. Un absentéisme croissant est le signe de dysfonctionnements divers affectant la vie de l’entreprise, la santé des salariés et la relation du salarié à son travail.
L’intérêt des entreprises pour la prévention de l’absentéisme est modéré, comment l’expliquez-vous ?
L’absentéisme, surtout dans le cas de l’absentéisme maladie est un sujet discret. On n’en entend parler que lorsque les salariés s’absentent au delà d’un certain seuil. C’est un signal dit faible en ce sens qu’il n’a pas l’immédiateté de l’accident de travail ni l’apparente consistance de la maladie professionnelle déclarée. Pourtant les signaux faibles témoignent de dysfonctionnement divers dont la prise en compte permet d’éviter les problèmes plus graves (accidents, maladies, grève, etc.).
L’absentéisme peut donc être compris comme une alarme ?
Oui et il est essentiel que les acteurs de l’entreprise se servent des données de l’absentéisme pour anticiper les problèmes.
Une note d’espoir pour finir
La prévention de l’absentéisme commence en entreprise par la mesure et le suivi d’indicateurs dédiés qui trop souvent brillent par leur … absence. Cet effort qualitatif est à la portée des entreprises. En outre, le corpus de l’amélioration des conditions de travail et de la prévention des risques est maintenant conséquent.
Pour en savoir plus
Thierry Rousseau ; « L'absentéisme. Outils et méthodes pour agir » ; Publication ANACT le : 09/07/09
Il serait intéressant de se pencher sur la question des NTIC qui pourraient être l’un des facteurs majeurs de nos jours qui expliquerait l’absentéisme montant au sein des entreprises.
RépondreSupprimerEn effet, les NTIC sont très largement employés par les entreprises par les cadeaux qu’elles font à son personnel et qui servent souvent au final d’outil de travail (ex : ordinateur portable, téléphone mobile [même exemple également cité plus bas]). Ces avantages en nature n’ont d’autre finalité que de garder un contact permanent avec leurs salariés. De ce fait, nous comprenons l’impact de ces nouvelles technologies sur la santé de ces travailleurs dans leur vie quotidienne : il n’y a plus de dissociation entre vie privée/vie professionnelle…
Selon le chercheur Thierry Venin « Les nouvelles technologies impliquent un plus grand flux d’informations et une impatience sociale de traitement». Dans le cadre d’une relation service/client, la cadence ne fait que s’accroître, s’intensifier. Etre en permanence sollicité, voire être sous pression pour remplir des objectifs quantitatifs et qualitatifs…
Actuellement dans une société où la technologie a évolué et continue d’évoluer à un rythme soutenu, il est difficile de se déconnecter du monde du travail (ex : téléphone mobile, ordinateur portable offert par l’entreprise…).