samedi 29 septembre 2012

LE STRESS DES DIRIGEANTS



La majorité des outils de diagnostic des risques psychosociaux sont pensés et construits pour identifier ce qui dans les conditions de travail ou l’organisation de travail cause de la souffrance chez les salariés. C'est également souvent dans ce sens que sont rédigés les ordres de missions et appels d'offres sur ce sujet. Derrière ces constats se cache un sous-entendu loin d'être anodin : les dirigeants d'entreprise sont au pire partie prenante dans la problématique des RPS, au mieux, non concernés.
En effet, tout comme le professeur de piano connaît la musique ou le chef cuisinier maîtrise ses recettes, l'hypothèse inconsciente est que le chef d'entreprise a les épaules pour encaisser les infortunes et ne peut donc pas être personnellement concerné par des problématiques de stress. Circulez, il n'y a rien à voir dans le bureau feutré du PDG.
Il existe bien-sûr dans la description de poste des dirigeants, de puissants modérateurs de stress. Leur personnalité tout d'abord, souvent caractérisée par l'optimisme et la capacité de rebondir lorsque les difficultés s'accumulent. L'autonomie ensuite est bien-sûr en lien direct avec la prévention des RPS (ainsi que le démontrent les travaux de Karasek). Le dirigeant dirige et cette caractéristique de contrôle lui permet d'anticiper les risques et donc de se protéger. Cependant, cette autonomie a tendance à se réduire puisque l'interdépendance entre les différents membres de l'écosystème de l'entreprise (investisseurs, clients, prestataires, institutionnels) se renforce avec la mondialisation et la généralisation des TIC.
A contrario, nous pouvons noter une demande généralement plus forte, une charge généralement plus lourde que pour la moyenne des salariés concernant aussi bien des aspects quantitatifs qu'émotionnels. Toujours en défaveur des dirigeants, la notion de soutien social est souvent déficiente, l'alpha mâle devant tout savoir et donc ne pas demander d'aide, sous réserve d'un procès en incompétence. En conséquence, dans sa confrontation avec la difficulté il est souvent confronté à la ... solitude. Ainsi un équilibre plus délicat qu'il n'y paraît doit se construire dans chaque entreprise pour que son dirigeant puisse disposer de toutes les ressources nécessaires à l'exercice de sa mission.
Étrangement, il n'y a peu d'études sur le sujet, décrivant les préceptes pouvant favoriser cet équilibre. Ceci qui est fort dommageable à double titre, d'une part parce que le nombre d'entrepreneurs est conséquent en France, d'autre part parce que le stress des dirigeants peut avoir des effets sur celui des salariés !
Notons tout de même un rapport très intéressant publié par EMLyon et la très prometteuse initiative de l'observatoire de la santé des dirigeants de PME, commerçants et artisans Amarok.

samedi 22 septembre 2012

LES INDICATEURS SOCIAUX, INDISPENSABLES ET DANGEREUX


Sans mesure, la gestion est impossible disait Peter Drucker. Cet adage, devenu le crédo des DAF  s'accorde également à la thématique de la prévention des risques sociaux en entreprise. Bien que sociales ou même psycho sociales, ces thématiques bénéficieraient en effet grandement de l'outillage statistique disponible depuis fort longtemps dans les domaines du marketing et de la finance. Les indicateurs sociaux sont donc indispensables au bon gestionnaire et ce d'autant plus que ces risques progressent. Mais, ces indicateurs ont aussi la fâcheuse particularité d'être dangereux lorsqu'ils sont mal utilisés.
Considérons un exemple réel pour s'en convaincre. Il s'agit d'un audit de l'absentéisme dans une grande PME industrielle. Un des premiers réflexes consiste à étudier l'histogramme du nombre d'absences, c'est à dire le nombre d'absences constatées pendant une période donnée (ici 2011) en fonction de leur durée. Assez classiquement, on observe dans le cas présenté ci-dessous que les absences sont majoritairement de courte durée. Ceci peut orienter l'analyse vers des hypothèses de dégradation de climat social ou de démotivation dont les absences courtes et fréquentes peuvent être un marqueur.

Mais l'observation attentive révèle un autre phénomène qu'il serait bien regrettable d'ignorer. Tout à fait au bout de l'échelle de durée, un petit pic apparaît (entouré de rouge). Ceci signifie que quelques salariés sont absents 365 jours (donc toute l'année).




Si l'on représente les mêmes données d'absence non pas en nombre d'absence mais en volume (nombre de jours d'absences) une autre réalité émerge, porteuse d'un tout autre message. Le pic insignifiant correspond en réalité à un volume d'absence très significatif (car ces absences sont très longues). L'absentéisme dans cette entreprise est donc biaisé par des absences de très longue durée. L'interprétation se module alors en conséquence, et un tel graphe peut orienter vers des hypothèses de pénibilité, d'usure professionnelle, de conditions de travail, de gestion des parcours professionnels.

Ainsi les mêmes données peuvent conduire à des hypothèses fort différentes car relatives au management ou aux conditions de travail. Les indicateurs sociaux sont donc tout autant indispensables qu'il sont dangereux. Ils nécessitent d'être construits et analysés avec le plus grand soin pour éviter des erreurs d'interprétation, voir des contresens.  Il est ensuite nécessaire de les valider par une étude qualitative sur le terrain, ce qui confirme la complémentarité des approches quantitatives et qualitatives.

Note : ces graphiques sont produit avec notre plateforme de diagnostic des risques sociaux ilélhor

dimanche 9 septembre 2012

L'ABSENTEISME BAISSE, MALHEUREUSEMENT

La baisse de l'absentéisme n'est malheureusement pas toujours une bonne nouvelle. Il en va d'ailleurs de même pour la baisse du taux de démission ainsi que la réduction des autres risques sociaux. Cette affirmation, qui n'a rien à voir avec du pessimisme, se veut plus certainement une expression du principe de réalité concernant la gestion des RH en entreprise.
Quelle étrange habitude en effet que celle qui consiste à ne mesurer un problème complexe que par la lorgnette d'un seul indicateur. Une série d'article récents sur la baisse de l'absentéisme est révélatrice de cette myopie. Certains chiffres nous indiquent que l'absentéisme a récemment baissé en France. Passons sur les données méthodologiques qu'il serait tout de même bon de valider (les hypothèses de calcul du taux étaient-elles les mêmes dans chaque entreprise participantes à l'étude ?) et allons droit au but.
Devons nous nous réjouir lorsque l'absentéisme baisse ? A cette question, le consultant pragmatique propose volontiers sa réponse favorite : "cela dépend !".  Car ce qui serait réjouissant, ce serait une démonstration chiffrée de la réduction des causes qui expliquent l'absentéisme, non de la réduction de l'absentéisme lui même. La nuance est de taille parce qu'un absentéisme en baisse peut tout à fait être lié à une dégradation de la situation sociale (et donc économique) des entreprises dans lesquelles il se manifeste. Considérons l'hypothèse que l'absentéisme est en partie causé par des conditions de travail dégradées ou une organisation du travail déficiente. Cette hypothèse peut-être considérée comme raisonnable si l'on se fie aux études qui démontrent que statistiquement parlant, l'absentéisme de "confort" ne dépasse pas 10% des cas. Des circonstances macro-économiques (chômage et peur associée de perdre son emploi) ou micro-économique (par exemple dispositif de contre visite médicale) peuvent inciter plus ou moins fortement les salariés à manifester leur présence au travail. L'absentéisme baisse alors. Mais lorsque les déterminants de l'absence demeurent alors que l'absence est contrainte, les manifestations ne font que s'exprimer sous une autre forme. Ainsi une baisse de l'absentéisme peut conduire à une hausse du présentéisme, ou, et une dégradation du climat social ou, et des démissions...
Pour ne pas habiller Paul en déshabillant Jacques, en prenant le risque que le problème crée ne soit pire que celui qui a été résolu (le présentéisme par exemple coûte plus cher aux entreprises que l'absentéisme qui est en partie pris en charge par l'état),  il faut concevoir donc ces problématiques sociales de façon globale (systémique) et s'attacher à résoudre leurs causes en amont.

samedi 8 septembre 2012

METHODOLOGIE DE DIAGNOSTIC DES RISQUES SOCIAUX

J'entends et lis ici et là que l'analyse de données en général et les statistiques en particulier n'ont pas leur place dans les diagnostics concernant les conditions de travail et la prévention des risques sociaux en entreprise. L'audit et le conseil sur ces thématiques seraient en effet l'affaire de ceux qui sont formés à écouter et observer, non des matheux qui utilisent des chiffres et calculent. Pour comprendre ces risques sociaux, seule l'approche qualitative, représentée par la capacité d'observation et d'écoute des experts serait ainsi adaptée. Il s'agit à mon sens d'une erreur aussi grossière que dangereuse. Je ne réfute pas bien sûr tous les arguments proposés. Certes l'analyse de données doit être menée selon des règles méthodologiques validées et par des personnes qualifiées. Certes, elle ne doit séduire par son apparente simplicité au point de se détourner de l'écoute des salariés et de l'observation des situations de travail. Ainsi, la proposition ne consiste pas à démontrer qu'une approche est meilleure ou pire que l'autre, ou de proposer une démarche uniquement basée sur l'analyse de données. L'importance du sujet et de ses conséquences sociales ne supportent certes pas de posture dogmatique. Au contraire, le but est de proposer une méthodologie unifiée qui concilie le meilleur des deux mondes (quanti et quali) et rassemble les meilleures expertises (psychologue, ergonome, sociologue mais aussi donc statisticien) au bénéfice de la précision du diagnostic proposé.
Pourquoi donc l'observation et l'écoute sont-elles insuffisantes et qu'est ce qui légitime l'utilisation de l'analyse de données dans la méthodologie de diagnostic des risques sociaux?
En premier lieu la sophistication mathématique a déjà très largement démontré sa valeur ajoutée dans des secteurs d'activité liés à l'humain. Les diagnostics qu'elle propose sont bien connus comme étant plus rapides et plus fins. Est-il possible aujourd'hui de se passer d'échographies, de scanners et d'IRM ?
En second lieu le problème n'est pas de modéliser le comportement d'un individu, mais d'appréhender les causes pouvant expliquer le comportement d'un collectif, d'un groupe d'individus. La nuance est de taille entre l'analyse des déterminants de l'absence de tel salarié et l'analyse des déterminants de l'absence des 150 salariés. L'être humain, bien-sûr, est infiniment complexe et il est certes raisonnable de se méfier des modèles simplificateurs. Mais lorsque les conditions de travail dans les entreprises sont vécues, perçues, de manière semblable par des collectifs, alors ces collectifs peuvent manifester des comportements identiques que l'analyse statistique sait découvrir.
Pour finir, il faut encourager l'utilisation de données objectives parce que tel est le langage de ceux qui décident. Le dirigeant veut des chiffres. S'opposer à cette volonté revient à se plaindre de la progression des risques sociaux tout en créant les conditions pour qu'ils perdurent.
Les risques sociaux (absentéisme, RPS, roulement du personnel, conflits) représentent certainement la catégorie de risque la plus complexe parmi les risques portant sur la santé et la sécurité des salariés. Voilà une raison suffisante d'utiliser tous les outils à disposition et s'écarter de postures culturelles qui privilégient une méthode plutôt que l'autre. L'analyse de données ne remplace pas l'observation, elle l'enrichit.