lundi 1 novembre 2010

STRESS CHRONIQUE, RISQUES SYSTEMIQUES

Peu à peu des études longitudinales menées par des chercheurs dans le monde entier révèlent les liens existant entre le stress chronique et la détérioration de la santé physique ou mentale chez celles et ceux qui y sont exposés. Par exemple, le lien entre le stress et les troubles cardiovasculaires est désormais bien établi[1]. Ceci explique l’appellation qui fait aujourd’hui autorité puisque le stress est considéré comme un risque dit psychosocial. Il s’agit en réalité d’une vision cruellement limitative et qui concourt probablement à la persistance du susdit risque, en ce sens que cette vision n’engage que faiblement les décideurs en entreprise à investir dans la prévention. En effet, les domaines du « psycho » et du social sont souvent mystérieux et éloignés des préoccupations stratégiques pour les managers pragmatiques formés aux sciences « dures » et contraints aux objectifs de rentabilité. Pourquoi cette vision est-elle donc limitative? Parce que la notion de risque psychosocial se focalise sur les personnes physiques, les salariés et oublie les personnes morales, les entreprises dans lesquelles les salariés en difficulté ne peuvent s’exprimer pleinement.
La réalité est que dans le cadre de l’entreprise, les risques psychosociaux sont également des risques opérationnels, des risques affectant la qualité de service et des risques économiques. En premier lieu, les risques opérationnels sont relatifs à la bonne exécution des projets. Les conséquences du stress chronique s’inscrivent sur quatre tableaux (troubles cognitifs, troubles physiologiques, troubles comportementaux, troubles émotionnels) et tous ont en commun de pouvoir pénaliser directement ou indirectement  la productivité. En fonction de la tâche à accomplir et des moyens éventuellement utilisés pour masquer ces troubles, le travailleur souffrant des conséquences du stress peut plus ou moins bien honorer sa mission. Il est simple par exemple de comprendre l’incidence probable d’un fort taux d’absentéisme sur le déroulement d’un projet à flux tendu. Il est possible également d’imaginer la conséquence de troubles du comportement sur la bonne exécution d’un projet d’équipe.
Pour les mêmes raisons, le stress chronique pénalise la qualité de service des entreprises et des administrations. Quel guichetier ou quel commercial peut proposer durablement un service personnalisé et irréprochable s’il souffre de traits dépressifs, ou manifeste des comportements agressifs ?
Le risque économique enfin se décline en deux conséquences fâcheuses pour l’entreprise engagée dans la guerre économique mondialisée. Il s’agit tout d’abord de capitaux perdus sous forme de coûts directs ou indirects. Le coût de la perte de production due à l’absentéisme et à la démotivation, le coût de la dégradation de l’image de marque, le coût des comportements conflictuels et de la rotation du personnel, etc. La seconde conséquence économique des risques psychosociaux est elle souvent ignorée. Il s’agit des bénéfices qui auraient pu être générées si... S’il est par définition difficile sinon impossible de quantifier les revenus d’inventions qui auraient pu être inventées, les décideurs doivent considérer la valeur marchande et stratégique de l’innovation et pondérer sa relation avec des conditions de travail harmonieuses. Le stress chronique est une problématique concernant tout autant l’argent que vous avez perdu que celui que vous auriez pu gagner. Il ne s’agit donc pas uniquement de réfléchir à la manière de limiter les coûts associés au faible rendement de salariés ayant perdu la motivation, mais également d’imaginer les bénéfices qui pourraient ou auraient pu être générées grâce à l’innovation et l’excellence générées par des salariés motivés.
Le stress chronique est donc un risque psychosocial et économique (RPSE). Si les salariés doivent se protéger des conséquences psychosociales en prenant soin d’eux et de leur santé, les décideurs en entreprise doivent pour leur part se protéger des conséquences opérationnelles et économiques de ces risques en favorisant l’émergence de conditions de travail adéquates où les salariés pourront s’épanouir.



[1] Une étude, portant sur 10300 fonctionnaires britanniques suivis pendant 12 ans, publiée par la Société européenne de cardiologie, confirme les conclusions d’études antérieures sur la toxicité du stress au niveau cardiaque. Ainsi, il est prouvé que le risque de maladie cardiaque est multiplié par deux chez les patients victimes d’un stress chronique.

2 commentaires:

  1. Un article intéressant. Je trouve le positionnement intéressant : parler au porte monnaie puisqu'il semble qu'il n'y ait que cela qui fasse loi à l'heure actuelle et non les considérations éthiques ou morales.
    Les cultures et les mentalités managériales seront toutefois difficiles à changer. Par ailleurs il me vient une réflexion qui dit qu'il est difficile de solutionner un problème avec les logiques qui l'ont engendré. La lecture de Souffrance en France de Desjours montre que la métaphore de la guerre économique reprise dans cet article, est largement à l'origine des conduites provoquant la souffrance au travail des salariés.
    Par ailleurs, il indique qu'une grande part du système social repose sur l'utilisation de la menace et de la peur pour faire tenir les situations injustes et iniques qui règnent dans l'entreprise. A partir de là, parler d'argent suffira-t'il alors que dans beaucoup d'entreprise il y aurait beaucoup plus à perdre à relâcher la pression psychologique qui fait tenir un édifice basé sur le mensonge, la peur et l'injustice?

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  2. >> il y aurait beaucoup plus à perdre à relâcher la pression psychologique qui fait tenir un édifice basé sur le mensonge, la peur et l'injustice.

    Cet "édifice" tient mais dans une position d'équilibre très instable. Il a l'apparence de la stabilité mais c'est une illusion d'optique par ce que l'on est habitué à le voir ainsi et qu'il n'y a pas d'autre référence (ou trop peu). Lorsqu'une autre référence se présente ou se présentera, le déséquilibre parait (paraîtra) évident. C'est un peu comme si l'on était habitué à voir Nadal et Federer jouer avec des chaussures de plomb. C'est une métaphore qui a évidemment ses limites mais l'idée est que si l'on avait l'habitude de les voir jouer avec ces chaussures on trouverait cela normal et on se dirait finalement c'est peut être mieux qu'ils continuent ainsi. NON ! Fondamentalement la qualité du jeu serait meilleure sans les chaussures de plomb. De la même manière la qualité de l'innovation, de la motivation, du service serait meilleure sans la peur. Sur le long terme la peur donne une illusion de pouvoir et de contrôle mais altère la performance.

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